Les efforts de conservation déployés depuis des décennies pour sauver une espèce unique de saumon endémique de Taiwan portent leurs fruits.
Au cœur de la chaîne montagneuse de Xueshan, à Taiwan, le ruisseau Bilu, d’ordinaire bien discret, a attiré en novembre 2021 l'attention des défenseurs de la nature taïwanais. Leur intérêt a été éveillé par le lâcher de 300 saumons d’eau douce formosans (Oncorhynchus masou formosanus) âgés d'un an par les responsables du parc national de Shei-Pa (SPNP), dans les confins montagneux de la municipalité de Taichung. Il s'agit de l'effort le plus récent de l'administration du parc pour repeupler les cours d'eau de la région avec des représentants de cette espèce menacée élevés à la station de Wuling du SPNP. « L'objectif de la mission de conservation est de faire revenir ce poisson dans chacun des ruisseaux où il prospérait autrefois », déclare ainsi le chef de la station, Liao Lin-yan [廖林彥].
Des employés du parc national de Shei-Pa relâchent des saumons d’eau douce formosans dans les ruisseaux Bilu et Hehuan, situés dans la chaîne de montagnes de Xueshan, au nord de la région centrale de Taiwan. (Photo aimablement fournie par le SPNP)
Découverte pour la première fois à la fin des années 1910, à l'époque de la colonisation japonaise (1895-1945), cette espèce endémique était autrefois commune dans les cours d'eau alimentant la partie supérieure de la rivière Dajia qui serpente à travers le centre de l’île avant de se jeter dans le détroit de Taiwan. Lorsque le SPNP a été créé en 1992, la population de saumons avait diminué pour ne regrouper qu’à peine 200 individus pour diverses raisons telles que le développement agricole et la pêche. À cette époque, ce poisson ne pouvait être observé que dans deux affluents de la Dajia, les ruisseaux Qijiawan et Gaoshan, qui traversent tous deux la région de Wuling où se trouve la station.
Au cours des premières années de l'établissement de la SPNP, les lâchers de saumons élevés en captivité ont donné des résultats médiocres dans les deux ruisseaux. Lorsque Liao Lin-yan a commencé à travailler à la station de Wuling en 1999, la population était passée à un peu plus de 400 individus. Mais la situation s'est améliorée à un rythme plus rapide depuis, le nombre de saumons vivant à l’état sauvage atteignant le chiffre sans précédent de 12 587 en 2020.
Un élément majeur du travail de conservation est l'élimination des déversoirs bloquant le sable. Entre 1999 et 2001, la station de Wuling a partiellement démoli quatre barrages à Gaoshan, puis un autre à Qijiawan en 2011, permettant ainsi aux saumons de se déplacer plus librement le long des cours d'eau pour s'accoupler avec des poissons auparavant séparés par les barrages bas. Cette initiative devrait améliorer la diversité génétique de l'espèce et l'aider ainsi à résister aux défis posés par les contraintes environnementales.
Comme le saumon formosan peut atteindre l'âge de quatre ans, M. Liao a passé autant d’années à faire des recherches intensives sur l'espèce pour acquérir une connaissance approfondie de son cycle de vie. Les informations glanées au cours de ses études sont utilisées pour créer des conditions favorables aux poissons dans l'écloserie de la station de Wuling. Cette installation conserve plus de 10 000 saumons, pour la plupart des alevins prêts à être relâchés.
Des résultats positifs
Selon M. Liao, la station s'est d'abord concentrée sur la reconstitution des populations de saumons dans le Qijiawan et le Gaoshan afin d'établir une base solide pour son projet de conservation. Au milieu des années 2000, elle a commencé à s'intéresser à d'autres cours d'eau qui abritaient autrefois l'espèce. « Il est important de ramener ce poisson dans ces rivières satellites. Car même si les poissons sont affectés par un déclin ou un problème dans tel cours d’eau, l'espèce peut encore survivre dans d'autres endroits », explique-t-il.
La station de Wuling du SPNP, près du ruisseau Qijiawan, se consacre à la survie de l'espèce des saumons formosans. (Photo aimablement fournie par le SPNP)
Chaque année, la station organise plusieurs activités de lâchers de poissons à petite échelle en plus de celles de grande envergure comme en mai 2021 qui a placé 1 600 bébés saumons dans le ruisseau de Nanhu. Grâce à ces efforts vigilants de conservation, on peut désormais observer ce poisson dans sept cours d'eau au total. Le ruisseau Qijiawan reste son principal habitat, avec plus de 6 700 saumons repérés en 2020.
Le déplacement des saumons peut être une tâche difficile, car les travailleurs doivent s'enfoncer dans les montagnes à pied. L'année dernière, le voyage entre la station de Wuling et les lieux où relâcher les poissons dans le ruisseau Nanhu a pris environ huit heures, selon M. Liao qui a dirigé l'équipe chargée de la mission. « Les hélicoptères ou les drones sont utilisés à l'étranger pour relâcher les poissons dans de larges rivières en terrain relativement plat. Cette méthode ne fonctionne pas à Taiwan, car l'habitat naturel de nos saumons est constitué de ruisseaux étroits dans des ravins profonds », poursuit-il.
Pour la même raison, il est difficile de suivre l'évolution de la population de poissons. Le comptage annuel a lieu de mai à septembre et dépend fortement des volontaires mobilisés par la station. « Nous sous-estimons certainement les chiffres car de nombreuses sections de la rivière ne sont pas accessibles. Mais la tendance à la hausse est indéniable, car les zones d'échantillonnage sont restées les mêmes au cours des 20 dernières années », déclare ainsi le chef de la station de Wuling, alors qu'il se prépare à retourner au ruisseau Nanhu pour vérifier les poissons relâchés l'année précédente.
Un habitat renforcé
Alors que le SPNP s'efforce de reconstituer les cours d'eau, l’office des Forêts du ministère de l'Agriculture contribue à créer un environnement plus favorable aux saumons. En 1995, l’office des Forêts a lancé une campagne visant à préserver les principaux habitats de la faune sauvage à Taiwan. Wuling a été l'une des premières zones protégées de ce type, et la collectivité locale y a annoncé la création d'une réserve naturelle pour le saumon d’eau douce formosan deux ans plus tard. Parallèlement à la loi sur la conservation de la vie sauvage, entrée en vigueur en 1989 et qui fait de toute atteinte à l'espèce un délit punissable, l'établissement d'une réserve de la vie sauvage garantit l'application de mesures de protection rigoureuses essentielles à la survie des poissons.
Les employés de la Fondation Tse-Xin pour l'agriculture biologique utilisent des jardinières auto-arrosantes pour améliorer considérablement les résultats de la reforestation dans la région de Wuling. (Photo aimablement fournie par la Fondation pour l’agriculture biologique Tse-Xin)
L’office des Forêts du district de Dongshih dirige également les efforts de restauration des zones boisées entourant les cours d'eau vitaux pour les poissons. Le reboisement est crucial car les saumons se nourrissent principalement de larves et d'insectes aquatiques, et le nombre de ces derniers est proportionnel à la densité du couvert forestier. « L'ombre fournie par les arbres refroidit également l'eau. C'est essentiel en été, car l'espèce décline à des températures supérieures à 17 degrés Celsius », déclare ainsi Wu Chen-chun [吳貞純], secrétaire du bureau de Dongshih. Les forêts permettent également de retenir la terre qui, autrement, serait emportée dans les ruisseaux lors de fortes pluies et aurait un impact sur l'habitat des poissons.
Le mouvement de reforestation a reçu un coup de pouce du secteur privé en 2021 lorsque la Fondation d'agriculture biologique Tse-Xin, basée à Taipei, et Hotai Motor Co. ont commencé à coopérer avec l’office des Forêts pour planter 13 000 arbres sur 11 hectares de terres agricoles abandonnées à Wuling. Le gouvernement a fourni des jeunes arbres et le savoir-faire correspondant, Hotai a offert un soutien financier et la fondation Tse-Xin a coordonné le personnel pour planter et entretenir les arbres. Tse-Xin a cultivé diverses stratégies pour améliorer le taux de réussite de la reforestation, notamment une planteuse auto-arrosante brevetée, co-développée par la fondation et une entreprise sociale locale. « Ces dispositifs permettent aux arbres de s'épanouir sans beaucoup de soins, même dans les endroits sujets au manque d'eau », dit Cheng Li-yi [程禮怡], directrice du département de plantation d'arbres de l'organisation. Elle insiste aussi sur la nécessité de faire pousser une gamme diversifiée d'espèces arboricoles indigènes. « Les espèces doivent être indigènes afin qu'elles soient résistantes aux maladies et diversifiées de sorte que si une espèce tombe malgré tout malade, tous les arbres ne seront pas affectés », explique-t-elle.
Grâce aux projets de remise à l'eau des poissons, qui amènent les saumons dans un plus grand nombre de cours d'eau, et à la campagne de reboisement, qui rend meilleures les conditions d'habitat, la situation s’améliore pour le saumon formosan. M. Liao reste toutefois prudent, en raison de l'augmentation de l'intensité et de la fréquence des phénomènes météorologiques extrêmes ces dernières années. « J'ai vu des typhons apporter des pluies torrentielles et emporter les poissons loin de leurs habitats. Une longue période de temps sec, comme la sécheresse qui a duré plusieurs mois l'année dernière, est tout aussi dommageable pour les poissons, poursuit-il. Taiwan a parcouru un long chemin dans la conservation du saumon, mais nous devons rester vigilants pour assurer le bien-être de l'espèce face aux défis futurs. »
La reforestation augmente les chances de survie du saumon, car l'espèce préfère des températures inférieures à 17 degrés Celsius et les arbres fournissent de l’ombre contribuant à rafraîchir l'eau. (Photo aimablement fournie par le SPNP)